- AUTOCONSOMMATION
- AUTOCONSOMMATIONDans n’importe quelle exploitation agricole, une partie de la production n’est pas vendue mais utilisée sur place par les habitants de la ferme, pour leurs besoins personnels. C’est presque toujours ce phénomène que l’on vise quand on parle d’autoconsommation. Celle-ci est très variable selon le type d’exploitation: de la petite ferme dite «de subsistance», qui produit un peu de tout, à la grande entreprise qui fait uniquement l’engraissage des bovins, la part de la production totale consacrée à l’autoconsommation tombe de près de 100 p. 100 à zéro.Encore significative, l’autoconsommation dans l’agriculture est cependant en régression constante. Il n’en est peut-être pas de même des autres formes d’autoconsommation, que l’on tend trop souvent à oublier: toute production de biens ou même de services pour les besoins propres d’un individu est un phénomène d’autoconsommation.1. L’autoconsommation dans l’agricultureLe mot «autoconsommation» désigne généralement l’utilisation sur place des produits d’une ferme pour l’alimentation de ses habitants. Mais ce terme ne s’applique pas à l’utilisation de produits pour l’alimentation des animaux; on parle dans ce cas d’«autofourniture».En fait, l’autoconsommation est un phénomène beaucoup plus général. Toute production ou tout service non vendu et utilisé directement par le producteur pour ses besoins personnels fait partie de l’autoconsommation. Il en est ainsi de l’artisan électricien qui réalise une installation électrique dans son appartement, du garagiste qui graisse sa propre voiture, du chauffeur de taxi qui utilise son véhicule pour ses besoins personnels, de l’épicier qui met de côté les légumes et fruits nécessaires à la consommation familiale (et produit donc pour lui-même le service de vente), du professeur qui donne une leçon à ses enfants, du banlieusard qui cultive des légumes dans son jardin (bien qu’il ne s’agisse plus, dans ce cas, de l’exercice de la profession habituelle).Mais c’est surtout dans l’agriculture que l’autoconsommation est importante, du fait que la production agricole comprend principalement des denrées alimentaires qui couvrent des besoins essentiels. Tous les types intermédiaires existent cependant entre la ferme dite de subsistance qui ne produit presque rien pour le marché (comme beaucoup d’exploitations des pays du Tiers Monde) et la grande exploitation hautement spécialisée, dont la quasi-totalité de la production est vendue. L’autoconsommation dans l’agriculture se présente sous des formes diverses, qui ont chacune leur justification et leurs conséquences.Le prélèvement d’une partie de la récolteLe premier type d’autoconsommation est le prélèvement, pour les besoins des habitants de la ferme, d’une partie d’une récolte destinée principalement à la vente. Si un agriculteur cultive des pommes de terre pour la vente, il serait évidemment absurde qu’il vende la totalité de sa production, pour en racheter ensuite une partie à un prix beaucoup plus élevé. En prélevant sur la récolte ce qui est nécessaire à sa propre consommation, l’agriculteur fait l’économie de la totalité du coût de distribution (y compris les impôts et taxes).Dans ces conditions, l’autoconsommation est certainement un avantage. Celui-ci n’est cependant pas sans contrepartie. L’agriculteur peut être tenté, pour augmenter ses recettes, de consommer les produits qui ont le moins de valeur marchande: petites pommes de terre, fruits abîmés, etc. Il aura donc une alimentation peu coûteuse, mais de moindre qualité. Par ailleurs, cette forme d’autoconsommation a pour conséquence à peu près obligatoire une alimentation moins variée que celle des habitants des villes. Si les pommes et les oranges ont le même prix au détail, le citadin achètera aussi bien un de ces produits que l’autre. Mais, pour l’agriculteur qui vend ses pommes au prix à la production et achète les oranges au prix de détail, le kilogramme d’oranges vaut deux ou trois kilogrammes de pommes. Ce producteur consommera donc surtout des pommes et très peu d’oranges.La production pour l’autoconsommationLe deuxième cas est celui de la production, dans une ferme, de denrées spécialement destinées à la consommation sur place: jardin potager et verger familiaux, petit élevage de lapins, engraissement de porcs, etc. La justification de ce type de production est, comme dans le cas précédent, l’économie du coût de distribution. Cette économie peut être telle qu’il y ait intérêt à cultiver, pour l’autoconsommation, des produits peu adaptés à la région. Ainsi, il peut être moins coûteux de produire du vin dans une région non viticole que d’acheter son vin chez un détaillant. Mais, dans ce cas encore, l’autoconsommation se traduira par une moindre variété de la consommation: c’est le même vin, souvent de qualité médiocre, que la famille boira d’un bout de l’année à l’autre.D’autre part, la justification de la production pour l’autoconsommation n’est souvent qu’apparente. Produire au prix de revient de 1 F une denrée que les autres produisent à 0,50 F, mais qui est vendue 1,50 F au détail, n’est pas nécessairement une opération avantageuse. C’est en coûts d’opportunité qu’il faut raisonner: quels auraient été les autres emplois possibles du travail et de la terre consacrés, par exemple, à la culture de la vigne? Selon que la vigne demande du travail à des moments perdus ou, au contraire, aux moments où l’exploitant est déjà surchargé, la réponse sera différente. Comme ce calcul de coût d’opportunité n’est pas toujours fait, certaines productions pour l’autoconsommation peuvent être maintenues, malgré un intérêt économique très contestable.L’autoconsommation forcéeUn troisième type d’autoconsommation est ce que certains appellent l’autoconsommation forcée. Lorsqu’un agriculteur ne réussit pas à vendre, même à bas prix, la totalité de sa production, il vaut mieux pour lui la consommer, même au-delà de ses besoins. Ainsi, pendant la guerre, en France, certains maraîchers qui, du fait de la désorganisation des transports, ne réussissaient pas à vendre toute leur production consommaient, pendant la saison, d’énormes quantités d’asperges.Enfin, mentionnons pour mémoire l’échange blé-pain, dont on peut d’ailleurs se demander s’il représente bien un phénomène d’autoconsommation. Au lieu de vendre son blé et d’acheter du pain chez le boulanger, l’agriculteur remet du blé au boulanger qui, en échange, lui cède une certaine quantité de pain. Cette opération de troc permet d’éviter l’utilisation de monnaie. Mais les termes de l’échange sont tels que l’opération ne présente en réalité aucun intérêt pour le producteur. Aussi l’échange blé-pain a-t-il quasi disparu.2. Comment comptabiliser l’autoconsommationLe phénomène de l’autoconsommation dans l’agriculture ne peut être négligé dans les études de comptabilité nationale ou les comparaisons de niveaux de vie. Il ne saurait être question de tenir compte uniquement des ventes des agriculteurs – d’autant plus que, dans certains cas, la majeure partie de la production agricole est consommée sur place. L’autoconsommation doit donc être mesurée, en quantité et en valeur.L’évaluation des quantitésLa mesure de l’autoconsommation dans l’agriculture se heurte à des difficultés évidentes. Il est toujours plus facile de connaître ce qui passe par le marché que ce qui est consommé sur place. La production des jardins familiaux d’agriculteurs et de non-agriculteurs, le nombre de porcs engraissés dans les fermes pour les besoins de la famille ne peuvent donner lieu qu’à des évaluations incertaines, et des erreurs considérables sont à craindre. Ce n’est que depuis la réalisation d’enquêtes systématiques de budgets familiaux dans les pays européens que l’on peut évaluer, en ordre de grandeur, l’autoconsommation de produits alimentaires.Mais ces difficultés ne doivent pas faire oublier que seule l’autoconsommation dans l’agriculture peut faire l’objet d’évaluations. Les autres formes d’autoconsommation – en particulier l’autoconsommation de services – sont purement et simplement négligées, alors qu’elles procurent parfois des avantages appréciables à ceux qui en bénéficient (par exemple, l’usage pour les besoins personnels d’un véhicule dont les coûts fixes sont payés par l’utilisateur professionnel peut faire réaliser plus d’économies que la culture d’un jardin familial).Le problème des prixL’évaluation des prix des produits utilisés pour l’autoconsommation pose une question de principe: faut-il comptabiliser l’autoconsommation aux prix à la production, aux prix de détail ou à des prix intermédiaires?La réponse ne fait pas de doute lorsqu’il s’agit de calculer la valeur de la production agricole. Que les produits soivent vendus ou consommés sur place, il faut les compter au même prix. Il en va différemment lorsque le problème est d’apprécier le niveau de vie des agriculteurs, afin de le comparer au niveau de vie des autres catégories de la population.La première idée qui vient à l’esprit est de compter, pour de telles comparaisons, l’autoconsommation aux prix de détail. Si l’on veut comparer le niveau de vie d’un agriculteur à celui d’un ouvrier de la ville, il paraît logique de compter les pommes de terre, les légumes, les volailles consommés à la ferme aux prix auxquels devrait les payer l’ouvrier urbain. D’autres estiment au contraire que l’autoconsommation doit être comptée aux prix à la production, parce qu’il s’agit d’une autoconsommation forcée.Les remarques faites au sujet des divers types d’autoconsommation permettent de donner une réponse plus nuancée. Dans la mesure où l’agriculteur garde, sur une récolte, tout juste ce dont il a besoin pour l’alimentation de sa famille ou bien produit spécialement certaines denrées pour son alimentation, il semble bien que l’on doive compter l’autoconsommation aux prix de détail. Mais à quels prix de détail? Selon que l’on veut comparer le niveau de vie de l’agriculteur à celui d’un rural ou à celui de l’habitant d’une grande cité, ce ne sont pas les mêmes prix que l’on prendra. Il n’y a donc pas de réponse unique; tout dépend de la comparaison que l’on veut faire. De plus, à dépense alimentaire égale, il faut rappeler que l’agriculteur aura une alimentation moins variée que celle de l’habitant des villes. Il faut donc bien reconnaître que la comptabilisation de l’autoconsommation aux prix de détail ne résout pas le problème d’une façon entièrement satisfaisante.Quant à l’autoconsommation forcée, il est évident que l’on ne doit pas la compter aux prix de détail. Au moment où certains maraîchers ne pouvaient vendre leurs asperges, celles-ci étaient vendues à des prix très élevés dans les villes, précisément à cause de la désorganisation des transports. Le maraîcher qui se nourrissait principalement d’asperges paraissait donc jouir, si l’on comptait l’autoconsommation aux prix de détail, d’un niveau de vie extrêmement élevé. Ce résultat absurde montre qu’on ne doit même pas compter l’autoconsommation forcée aux prix à la production.Il faudrait donc, en principe, pour comptabiliser l’autoconsommation, étudier soigneusement chaque cas pour vérifier s’il s’agit du prélèvement d’une partie de la récolte, d’une production destinée spécialement à l’autoconsommation ou d’autoconsommation forcée. Dans la pratique, pour les comparaisons de niveaux de vie, il paraît raisonnable de compter l’autoconsommation à des prix intermédiaires entre les prix à la production et les prix de détail. Mais cette règle simple ne doit pas être appliquée aveuglément; il faut traiter séparément les cas particuliers que l’on peut rencontrer.3. Importance et évolution de l’autoconsommation de produits agricolesSi l’autoconsommation de produits agricoles constitue encore un phénomène réel, sa régression est certaine. Dans le monde entier, la part de la production agricole destinée au marché va croissant.Les raisons de cette évolution sont multiples. L’agriculture de subsistance ne peut assurer qu’un faible niveau de vie. Celui qui veut bénéficier des avantages de la vie moderne doit acheter des biens industriels, donc vendre pour se procurer de la monnaie, et spécialiser sa production pour produire plus: un tel agriculteur aura moins à prélever sur ses propres récoltes.D’autre part, la diminution de la population agricole constitue un phénomène très général, accompagné le plus souvent d’un accroissement de la production globale. Ainsi, il y a de moins en moins de personnes à nourrir dans l’agriculture, ce qui, toutes choses égales d’ailleurs, réduit le volume de l’autoconsommation. Celle-ci représente donc une part de plus en plus faible de la production.Ce phénomène est encore accentué par le fait que ce sont les fermes les plus petites qui disparaissent au profit des exploitations moyennes et grandes, où l’autoconsommation est peu importante: la production pour l’autoconsommation recule plus vite encore que la population agricole.Un facteur supplémentaire de réduction de l’autoconsommation est que les agriculteurs font de plus en plus, consciemment ou inconsciemment, le calcul des coûts d’opportunité. Un agriculteur traduira ce phénomène d’une façon simple en disant que «ça ne vaut pas la peine de se donner tant de mal pour ce que rapporte le jardin familial». Enfin, la progression continuelle des niveaux de vie et une meilleure adaptation de l’offre à la demande, grâce à l’organisation des marchés, réduisent considérablement l’autoconsommation forcée. Les trois formes d’autoconsommation sont donc en décroissance dans l’agriculture.Ajoutons enfin que l’accroissement du niveau de vie moyen dans l’agriculture même permet aux agriculteurs de réduire l’autoconsommation, afin de bénéficier d’une alimentation plus variée: le producteur accepte de vendre deux kilogrammes de pommes de plus pour pouvoir acheter un kilogramme d’oranges (le prélèvement sur la récolte sera donc réduit); il engraissera un porc de moins, parce qu’il achètera plus souvent de la viande de bœuf chez le boucher (réduction de la seconde forme d’autoconsommation).L’élévation des niveaux de vie peut inciter aussi les ruraux non agriculteurs à se donner moins de mal pour l’entretien du jardin familial. Le calcul de coût d’opportunité est ici la comparaison entre le travail au jardin et d’autres utilisations du temps de loisir. La production de denrées agricoles par les ruraux non agriculteurs est donc sans doute elle aussi en décroissance. Par contre, la multiplication des résidences secondaires de citadins est un facteur d’accroissement de la production pour l’autoconsommation. Mais il est probable que cet accroissement ne compense pas la diminution de la production des jardins familiaux de non-agriculteurs dans les régions rurales. Au total, la production agricole pour l’autoconsommation tend donc à diminuer aussi bien hors de l’agriculture que dans l’agriculture.En ce qui concerne les seuls agriculteurs, les résultats relatifs à la France sont très significatifs: d’un tiers de la valeur totale de la production agricole en 1938, l’autoconsommation est tombée à un dixième seulement de cette valeur.4. L’autoconsommation de produits non agricoles et de servicesSi l’on se plaint à juste titre de mal connaître l’autoconsommation de produits agricoles, on oublie trop facilement l’existence même des autres formes d’autoconsommation. C’est sans doute parce que les produits alimentaires couvrent des besoins essentiels – ce qui est particulièrement important en période de pénurie – que l’on tend à négliger le reste. Une autre raison, de principe celle-là, est qu’il est extrêmement difficile de définir les limites de l’autoconsommation en dehors de l’agriculture: faut-il comptabiliser les travaux ménagers de la maîtresse de maison (production de services pour soi-même), parce qu’ils auraient pu être effectués par une femme de ménage salariée? On retrouve là un thème de discussion bien connu des spécialistes de la comptabilité nationale.Il est donc pratiquement impossible de dire quoi que ce soit de précis sur l’importance et l’évolution de l’autoconsommation de biens et services non agricoles. Mais il faut, au moins, se souvenir de son existence.• 1952; de auto- et consommation♦ Écon. Consommation de produits par leur producteur. Économie d'autoconsommation. ⇒ autarcie.autoconsommationn. f. Consommation des produits par leur producteur.⇒AUTO(-)CONSOMMATION, (AUTOCONSOMMATION, AUTO-CONSOMMATION) subst. fém.ÉCON. POL.Consommation, par un groupe de producteurs (en partic. dans l'agric.) de ce qu'il produit :• 1. ... si le revenu national des pays évolués est connu de manière précise, il n'en est pas de même pour les pays sous-développés où l'on peut mal apprécier par exemple, l'auto-consommation familiale agricole et les échanges réels.J.-A. LESOURD, C. GÉRARD, Hist. écon., XIXe et XXe s., t. 2, 1966, p. 601.• 2. ... cette influence paraît s'accroître, en partie parce que les agriculteurs prennent conscience de leurs moyens d'action mais surtout parce qu'en brisant leur autarcie économique traditionnelle, ils pénètrent sur le marché et deviennent ainsi une force économique. L'autoconsommation demeure très importante dans certaines régions et on trouve encore des exploitations familiales qui produisent presque tout ce qui est nécessaire à la consommation de la famille et ne commercialisent que les excédents de ces productions vivrières (quelques sacs de blé, du lait, des porcs, de la volaille, etc.).Traité de sociol., 1967, p. 327.Rem. 1. Enregistré ds Lar. encyclop. et ROB. Suppl. 1970; signalé comme ,,néologisme`` ds QUILLET 1965. 2. 1re attest. 1952 (A. DE CAMBIAIRE, L'Autoconsommation agricole en France, A. Colin, p. 11 ds ROMEUF t. 1 1956); composé de consommation et de l'élément préf. auto-1.STAT. — Fréq. abs. littér. :1.BBG. — BIROU 1966. — FÉN. 1970. — GEORGE 1970. — LAMB. 1970. — LAUZEL-MUSS. 1970. — MUCCH. Sc. soc. 1969. — PUJOL 1970. — RIGAUD (A.). Sus à l'autocoat. Vie Lang. 1969, p. 595. — ROMEUF t. 1 1956.autoconsommation [otokɔ̃sɔmɑsjɔ̃] n. f.❖♦ Écon. Consommation des produits par leur producteur. ⇒ Autosubsistance. || Économie d'autoconsommation. ⇒ Autarcie. || « L'autoconsommation de produits frais (…) était la règle (au moyen âge) » (L.-V. Vasseur, J.-J. Bimbenet et M. Hillairet, Industries de l'alimentation, p. 5).
Encyclopédie Universelle. 2012.